Les Bretons aux Glory Hole

Nous devons beaucoup à Sophie Carluer qui nous a aidés à en apprendre davantage sur la présence française au Glory Hole ou Ilot. Les descriptions suivantes, datant du début 1915, prises dans une lettre, un rapport, des citations et un poème, illustrent la férocité des combats à la Boisselle et montrent pourquoi le secteur était devenu un territoire sacré pour les Bretons qui le tenaient.

A la conquête d’une tranchée

Cette lettre est parue dans le journal « la Croix des Côtes du Nord », écrite par un sergent du 19ème régiment d’infanterie à ses parents. La lettre décrit les évènements suivant l’explosion d’une mine allemande de 2,5 tonnes le 7 février 1915, qui ensevelit huit ingénieurs français. La lettre, écrite par un sergent inconnu du 19ème RI, décrit la prise et la consolidation d’un cratère. Cette lettre est reproduite avec l’aimable autorisation de Sophie Carluer, et peut être trouvée sur son site dédié à l’histoire du 19ème RI :  http://19emeri.canalblog.com/archives/2010/07/04/18501119.html

Millencourt, le 13 février 1915

Chers parents J’étais arrêté dans ma dernière lettre du 6 février. La journée avait été calme et le temps relativement beau. Nous étions en première ligne depuis la veille au soir et nos tranchées étaient à 40 mètres des allemands. Comme d’habitude, quelques coups de feu avaient été échangés dans la journée. Depuis près de trois semaines, le génie français préparait des puits de mines pour enlever une tranchée allemande en avant de nous. De leur coté, les allemands faisaient la même chose. Le dimanche, nous devions opérer. Or, le samedi soir, à onze heures une détonation formidable retentit. C’était les allemands qui venait de faire exploser notre tranchée occupée par la 8e compagnie. Panique générale. La section de la 8e qui tenait la tranchée saute en l’air et le reste revient en arrière pendant que les allemands prennent notre place. Des coups de feu sont échangés sur toute la ligne. Notre artillerie donne pendant quelques minutes, puis le silence se rétablit. La 8e compagnie est obligée de se replier un peu en arrière. Le lendemain matin, on se rendit compte de la situation. Les soldats du génie qui creusaient un puit de mine aidés par vingt soldats du bataillon étaient ensevelis sous les décombres. Quand à ceux qui avaient sautés, ils étaient indemnes. L’explosion avait soulevé trois tas de terre d’environ six mètres de haut et de huit à dix mètres de large. C’est à ne pas y croire que de voir un amas semblable produit par la mélinite. C’est effrayant. Le dimanche matin arrive. Temps superbe, soleil radieux. Excellent déjeuner servi sur une table improvisée composée d’une planche reposant sur deux seaux. Nous finissons à peine de dîner que le capitaine nous avertit que nous allons attaquer dans quelques heures. C’est plutôt mauvais comme dispositif. Le général de division avait donné ordre à la compagnie qui avait perdu la tranchée de la reprendre coûte que coûte. Ma compagnie devait marcher comme renfort si la 8e échouait. Alors tous nous nous préparons, nous mettons de coté les papiers personnels important que nous laissons dans notre sac en cas de retour. Ce n’est pas gai. Nous étions tous là, baïonnette au canon, attendant l’heure de l’assaut. A quatre heures, notre artillerie, pendant quelques minutes, fait donner toutes ses batteries de 75, 105 et 120 sur La Boisselle. C’est un vacarme effroyable. Au bout d’un quart d’heure, une section de la 8e compagnie part sans faire de bruit, dans le boyau conduisant au bas de la butte de terre soulevée par la mine et derrière laquelle s’établissent les allemands. Arrivés au pied de la levée de décombres, la section pousse un cri: En avant ! A la baïonnette ! et gravit le tas de terre. Une cinquantaine d’homme du génie allemand travaillent derrière la butte. Ils sont tous passés par les armes, et la section, revenant en arrière, s’établit un abri sous le feu. Aidée par les trois autres sections, elle établit une sorte de tranchée. Pendant cet assaut, ma compagnie avait gardé sa position et attendait pour intervenir. Point ne fut besoin. Nous essuyâmes simplement le feu de l’artillerie allemande. Plusieurs marmites nous envoyèrent de la terre sur nos képis. Trois de mes hommes furent blessés par balles en levant leur tête au-dessus de la tranchée. Le soir, à huit heures, ma compagnie remplace la 8e sur l’emplacement pris d’assaut. C’est ma section qui prend la position. Toute la nuit, nous nous y sommes fortifiés et, craignant une contre-attaque, nous étions sur nos gardes. Mais ces messieurs n’osèrent pas s’y frotter. J’avais auprès de moi un soldat mort à l’attaque et le mardi à cinq heures du matin, je prends deux hommes avec une pelle et une pioche, puis, nous creusons une fosse. Je fais fouiller le mort: c’est un nommé R……… de H…… Quand la fosse est faite, nous le mettons dedans, puis je réunis six hommes et, à genoux, tête découverte, je récite le « de profundis » que mes hommes répondent. Je vous assure que c’était un spectacle bien impressionnant de nature à toucher même les plus indifférents. Nous recouvrons de terre noire l’infortuné camarade, puis je plante une croix faite par moi sur le sommet de sa tombe. J’y avais mis cette inscription: Ici repose H………….. R…………. du 19e d’infanterie, mort au champ d’honneur. Prions pour lui. Dans la matinée, j’ai enterré deux autres soldats tués la veille et à chacun, nous fîmes le même cérémonial. Que de réflexions salutaires donnent de tels spectacles ! Nous avons occupé cette position toute la journée et nous nous sommes fortifiés sérieusement. Le lendemain, nous sommes partis en deuxième ligne et avons pu nous reposer un peu la nuit. Le mardi soir, nous étions relevés et nous sommes à Millencourt pour six jours. Quelle réjouissance de pouvoir se refaire un peu !

R. P………. Sergent au 19e d’infanterie

Un jour comme les autres

Ce rapport donne un aperçu de la vie quotidienne des soldats français dans les tranchées de l’autre côté de la Boisselle. Il est reproduit avec l’aimable autorisation de Sophie Carluer, et peut être trouvé sur son site dédié à l’histoire du 19ème RI.   http://19emeri.canalblog.com/archives/2010/07/04/18501119.html

19ème régiment d’infanterie   18 février 1915

Compte rendu des évènements et des travaux effectués pour la journée du 17 et la nuit du 17 au 18 février 1915.

Bombardement assez intense du secteur surtout par du 77 fusant. Depuis deux jours, l’intensité du feu de l’artillerie allemande a beaucoup augmenté. Tout travail de jour est impossible étant donné que toute levée de terre attire aussitôt le tir de l’artillerie ennemie et le travail de nuit est retardé. Les tranchées de première ligne ont été bouleversées en plusieurs points notamment dans les tranchées C, F et la tranchée du cimetière. En F une section de mitrailleuses à même été bouleversée sans perte d’hommes ni dégât matériel. Pertes du régiment: 2 tués (1) et 6 blessés.

Travaux effectués Construction de traverses dans la tranchée C que l’on a commencé a couvrir de rondins et de claies pour protéger contre le tir d’enfilade venant du bois en V. Construction de 10 mètres de boyau conduisant de la tranchée G à l’îlot. Mise en place de 10 créneaux dans la tranchée Sud de l’entonnoir ainsi que dans les tranchées C et F. Pose de réseaux de fil de fer brun devant les tranchées E, F et G. Réfection des tranchées A et B dans les parties démolies par les obus et les bombes et éboulées par la pluie. Nettoyage des boyaux 23 et 25 sur une longueur de 150 mètres. Le colonel commandant le 19e RI Marc Albert

[1] Après quelques recherches sur le site « Mémoire des Hommes », Sophie Carluer a retrouvé deux soldats du 19e RI tués le 17 février 1915: Jean Guillaume Gourvez et Pierre Jestin.

Citations à l’ordre de l’armée

Suite aux évènements du 7 février 1915, de nombreuses citations ont été attribuées aux soldats et officiers du 19ème RI. Certains sont reproduits ici avec l’aimable autorisation de Sophie Carluer, et peuvent être trouvés sur son site dédié à l’histoire du 19ème RI : http://19emeri.canalblog.com/archives/2010/08/04/18741774.html

Chef de bataillon VIOTTE A fait preuve en toutes circonstances des plus belles qualités militaires, notamment le 7 février, en dirigeant une contre-attaque sur des excavations de mine occupées par les allemands et en lui imprimant une telle énergie qu’une seule compagnie de son bataillon réussissait à repousser l’ennemi en lui tuant 120 à 130 hommes.

La 8ème compagnie du 19e RÉGIMENT D’INFANTERIE Chargée d’une attaque sur les entonnoirs de mines allemandes, s’est porté résolument en avant et après un feu rapide, abordant l’ennemi à la baïonnette, a obligé celui-ci à abandonner sa position, en laissant sur le terrain environ 200 morts.

Capitaine MAILHOL Ayant reçu l’ordre de se tenir prêt à soutenir avec sa compagnie le mouvement de la 8ème, sur les excavations de mines allemandes, s’est porté personnellement auprès du commandant de la compagnie d’attaque, qu’il a accompagné pendant toute l’opération pour se renseigner sur ses besoins en renforts et pouvoir les satisfaire au plus vite. A été légèrement blessé à la tête par un éclat d’obus.

Sous-lieutenant GOASDOUE Le 7 février, chargé de mener une attaque sur des entonnoirs de mines occupés par les allemands, a entraîné sa compagnie avec un brio remarquable, et, malgré les pertes éprouvées dans la nuit précédente par l’explosion des mines, a su la maintenir pendant deux heures sous un feu violent d’infanterie donnant à tous le meilleur exemple de courage.

Sous-lieutenant QUEMAR Tombé glorieusement à la tête de sa section, le 7 février, au moment où il occupait une position qu’il venait d’enlever à la baïonnette.

Adjudant CAUDAL Dans la nuit du 6 au 7 février, était chef d’un poste avancé. Après l’explosion de trois fourneaux de mine allemands ensevelissant la moitié des hommes de sa section, n’a pas hésité à se porter en avant, avec les survivants, pour garnir la crête de l’un des entonnoirs et s’opposer à la marche en avant de l’ennemi. A résisté sur cette position avec la dernière énergie.

Adjudant SEVERE Après l’explosion de mines allemandes dans un ilot dans la nuit du 6 au 7 février, s’est porté seul en avant par des boyaux à peu près impraticables afin de recueillir des renseignements précis sur la situation de notre tranchée avancée.

Caporal GUIZOUARN Le 7 février a fait preuve d’une grande bravoure en se précipitant à la tête de son escouade dans l’entonnoir creusé en avant de la tranchée de première ligne par l’explosion d’une mine allemande, a été grièvement blessé.

Soldat BELLEC Enseveli sous les décombres d’une explosion de mine dans la nuit du 6 au 7 février et dégagé par deux soldats allemands, a réussi à leur échapper et à rentrer dans nos lignes.

Soldats RAYMOND et LE GOFF Ont, au mépris du plus grand danger, rapporté le corps de leur officier tué au cours d’un assaut à la baïonnette le 7 février. (ndlr: Il doit très certainement s’agir du Sous-lieutenant Quémar)

Théodore Botrel – Une croix dans la tranchée

Théodore Botrel a écrit de nombreux poèmes et chansons, dont le célèbre « Rosalie ». Compositeur breton bien connu, il a été choisi comme « chansonnier aux armées » par le ministère de la guerre. Il passa la guerre à visiter différentes parties du front et à donner des représentations patriotiques. Botrel utilise deux mots bretons : « Brezounek », qui veut dire breton, et « Kenavo », qui veut dire au revoir. Ce poème, écrit en  mai 1915 et dédié « aux compatriotes du 19ème » a été découvert par Jean Bannier dans de vieux papiers de famille, puis envoyé à Sophie Carluer. Ce poème peut être trouvé sur le site de Sophie dédié à l’histoire du 19ème RI : http://19emeri.canalblog.com/archives/2009/11/10/15750292.html

AUX COMPATRIOTES DU 19e

UNE CROIX DANS LA TRANCHÉE

Nous suivions la tranchée à vingt mètres des Boches,
Silencieux, le dos voûté, le pied glissant,
Et les canons ‘tapaient’ là, si proches,
Que le vent des obus nous fouettait en passant.

Nous voyons à travers les créneaux La Boisselle,
Son petit cimetière et son îlot brumeux,
Paysage banal qu’un frôlis de ton aile
A fait sublime, ô gloire, et pour jamais.

Nous bonjournions les gars bretons du 19e
A leurs postes d’écoute au long des longs boyaux
Où échangeant deux mots ‘brezounek’ parfois même,
Les ‘tiens bon’ se croisaient avec les ‘kenavos’.

Quand, tout à coup, je vis au bas d’une tranchée
Une petite croix faite avec deux roseaux
Croix sans date et sans nom timidement cachée
Comme en font les enfants sur les tombes d’oiseaux.

Qui était donc ce mort, quand tomba t’il ?
Mystère Il était de ceux là qu’on note ‘disparus’
Et qui, devant les yeux des remueurs de terre,
Sous le coup de leurs pics, un soir, sont reparus.

On ne dérange pas ce corps du camarade
On salue, on se signe et le travail reprend
Si bien qu’il reste encore là, sous la fusillade
Soldat jusqu’au-delà du tombeau, dans le rang.

Et devant l’humble croix, saisi d’un trouble étrange,
Je me sentis jaloux de ce mort radieux
Qui, face à l’ennemi, dans son linceul de fange,
Dormait là du grand sommeil des héros et des dieux.

 Théodore Botrel – La Boisselle 13 mai 1915

2 réponses à “Les Bretons aux Glory Hole

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